Quatre chroniqueurs, quatre films d’actualité, une analyse de séquence et un écrit théorique. Émission mensuelle d’une heure.
Une émission produite par Mathilde Grasset et Élie Raufaste.
Une émission de Élie Raufaste, Mathilde Grasset, Arthur Kramer et Marie Dougnac.
Pour ce quatrième numéro, le débat critique concerne quatre films qui ont occupé les écrans en octobre et novembre : Joker de Todd Philips, Sorry we missed you de Ken Loach, J’ai perdu mon corps de Jérémy Clapin et J’accuse de Roman Polanski. Petit passage, ensuite, par le sous-sol du Cinéma Lumière Bellecour où était exceptionnellement diffusé le film de Vincent Delerm, Je ne sais pas si c’est tout le monde, un documentaire d’une infime délicatesse que nous tenions à mettre à l’honneur : écoutez-donc un extrait de l’échange qui a suivi entre Delerm et les spectateurs.
Un peu d’encre pour finir : celle du cinéaste Bruno Dumont, qui défend sa façon d’écrire le cinéma ; puis celle de quatre livres fraîchement parus sur le cinéma, que vous pouvez retrouver à la librairie de l’Institut Lumière.
Le texte :
“Travail du cinéaste” par Bruno Dumont, dans le numéro Bruno Dumont de la collection Cinéma & Fiction, éd. Dis voir, 2001
Les conseils de lecture:
Les chansons de l’émissions :
Débat autour des films de Malick, Laguionie et Suleiman, analyse du style musical de John Williams puis lecture de la “Défense de l’amateur” de Stan Brakhage.
Débat critique sur quatre films de la rentrée, suivi d’un échange entre Emmanuelle Devos et Arnaud Desplechin à la Cinémathèque, puis de la lecture d’un texte d’Alain Bergala.
Débat critique sur quatre films de la compétition cannoise, suivi de l’analyse d’une séquence d’Agnès Varda puis de la lecture d’un texte d’Abbas Kiarostami.
Chacun choisit un film et tous en discutent : petit périple de trente minutes dans l’actualité cinématographique du mois. Lumière ensuite sur une séquence de l’histoire du cinéma : que reste-t-il de l’image quand on ne garde du film que le son ? Comment peut-elle encore « raconter » ? De l’encre pour finir, celle d’un texte théorique sur le cinéma, lu et resitué dans son contexte historique et intellectuel — celle, encore, des nouveautés fraîchement imprimées disponibles en librairie !
« On est ici pour parler de cinéma. »
À mon sens le cinéma n’est pas, et ne sera jamais, comme toute autre forme d’expression artistique, une entité indépendante, vierge, du contexte social et politique de sa production et consommation. Tout comme à mon sens le parallèle entre le synopsis du film et son réalisateur n’aurait pu être plus grossier malgré tout ce que vous avez pu en dire : un homme juif accusé d’un crime à tort. Sauf que Polanski n’a pas été accusé à tort. Sauf que Polanski a violé, et non pas une femme, une enfant, mais plusieurs. Dans un contexte où les femmes et leurs alliés se battent pour leurs droits, peinent à faire reconnaitre et condamner les agressions sexuelles, viols, dont elles sont victimes, luttent, il semble fort peu à propos (et c’est un euphémisme) de leur faire un pied de nez en accordant argent et visibilité à un homme qui de par ses actes incarne la violence machiste. Parce que derrière ce film il y a bien un homme. Un homme qui bénéficie du soutien de tout un système de production, qui bénéficie d’une visibilité médiatique, qui touche de l’argent. Un homme qui, qui plus est, a usé de sa position « d’artiste » pour accomplir ses crimes.
Aller voir J’accuse c’est soutenir cet homme. Parler de ce film à la radio c’est donner une visibilité à cet homme. Cet homme, et non pas ses victimes. Non, ici on ne parle pas seulement de cinéma. Dire cela c’est déjà être dans une posture politique. Libre à vous d’assumer cette prise de position. Mais prenez vos responsabilités.
Il y a des phrases qui blessent, qui heurtent. De même qu’il y a des films qui blessent et qui heurtent par la seule possibilité qu’on les ait laissé exister. J’ai trouvé les deux dans cette émission, non sans une certaine amertume à voir qu’une émission de Trensistor comportant quatre personnes à sa réalisation ne soit pas capable de contrôler un tel dérapage vers une posture politique fortement discutable et à peine assumée. Un an à peine après MeToo, et quelques semaines après un nouveau témoignage des violences machistes endémiques dans le milieu du cinéma, est-ce vraiment possible de dire que « Nous laisserons à d’autres le soin de juger les actes du réalisateur » ?
Quant au jugement, il est sans appel, reconnu à de multiples reprises et le soin n’est finalement laissé qu’à vous de prendre position par rapport à un film réalisé par un violeur en série. « Un arrière-fond gênant », vraiment ? Plus gênant pour vous ou pour le réalisateur ? Qu’il serait dommageable que le plaisir cinématographique patriarcal se voit entaché de la souffrance d’une nouvelle victime d’un réalisateur. Je ne pensais pas écouter aujourd’hui un tel déni de souffrance face aux violences machistes et au potentiel trigger que présente ce film pour l’ensemble des victimes d’agressions sexuelles et sexistes. De même, je ne pensais pas voir qu’une émission se fasse le relai de ce trigger au sein de Trensistor sans une once de contradiction sur le plateau.
Nous sommes quatre à avoir participé à l’émission, dont trois à avoir parlé du film, et dans ces trois-là nous sommes deux producteurs… Je considère que vos reproches nous concernent plus directement et c’est au nom de nous deux que je vous réponds. Il y a plusieurs niveaux dans vos deux commentaires, et j’aimerais prendre le temps de faire quelques distinctions. D’autant plus que certains propos vous ont choqué personnellement : je trouve important de redéplier ma pensée pour qu’aucun malentendu ne soit fait.
Je crois que vous nous placez à un endroit où nous ne sommes pas. Mathilde a été claire quand elle a expliqué que nous parlions de cinéma ; le cinéma, c’est toujours l’association de l’esthétique, du politique, du moral… Le film en est d’ailleurs une démonstration éclatante. Le choix seul d’aller ou de ne pas aller voir un film, d’en parler ou de ne pas en parler, est en revanche uniquement une position purement politique, que l’émission, par sa finalité (débattre – à notre humble niveau ! – des films et des livres qui paraissent sur le cinéma), n’a pas à endosser. Nous avons fait le choix de parler du film comme nous avons fait le choix de parler des autres, avec la même durée, le même recul critique, le même rôle au fond – un rôle de critique de cinéma. Il se trouve par ailleurs que nous avons aimé le film ; nous aurions tout à fait pu le détester… Il se trouve que nous étions trois à l’avoir aimé ; nous aurions pu être en désaccord… Encore une fois, tout cela s’est passé à l’intérieur de notre expérience de spectateur et aucunement dans une logique d’acceptation (encore moins de soutien ? Comment même l’imaginer…) des actes de cet homme. D’une part, donc, j’écarte cette connexion ; d’autre part cela ne m’empêche pas de respecter le choix de ceux qui, à leur échelle, décident de ne pas aller voir le film. Enfin je m’excuse vraiment si des tournures vous ont choqué – je ne suis pas le premier exempt de maladresses, surtout à l’oral – mais je m’étonne, au fond (et puisqu’il est question d’échelle) de l’intensité de la charge…