À la découverte du spectacle vivant à Lyon et à l’ENS !
Une émission produite par Coline Lafontaine et Juliette Meulle.
Une émission de Matthias, Marie Lécuyer, Maëlys, Antoine Alario et Chloé Dubost.
Le 55e numéro d’ENSpectateurs vous propose un programme aussi spectaculaire que possible, avec Marie et pas moins de cinq chroniqueur-euse-s trié-e-s sur le volet ! Au sommaire cette semaine :
retours critiques (et parfois divisés) sur Le Musée du Moi, joué par le collectif Illes en théâtre Kantor, avec Antoine, Maëlys & Emilie ;
puis Marie et Matthias vous font part de leur avis sur Le Cid, mise en scène d’Yves Beaunesne, proposée au TNP (et ça n’a pas été à la hauteur de leurs attentes) ;
enfin, Chloé nous livre une chronique sur Ce qui nous regarde, de Myriam Marzouki – un autre point de vue mais autant d’enthousiasme qu’avec Anna, dans l’épisode 54.
Place au player de l’émission ! Le tour complet du Musée (l’émission en entier) :
Juste un follower (la chronique d’Antoine sur Le Musée du Moi) :
Juste une stance (la discussion sur Le Cid) :
Juste un voile ou même un bandeau dans les cheveux (la chronique de Chloé sur Ce qui nous regarde) :
Marie et Antoine reçoivent la troupe du Musée du Moi, à retrouver cette semaine en théâtre Kantor ; puis Anna nous livre son avis sur la pièce Ce qui nous regarde.
Aux InterQ, Marie et son équipe parlent de La Petite Sirène, Elektra et Grito/Je crie.
Antoine & ses chroniqueuses débattent sur la mise en scène du Joueur. Puis Rémy vous dit tout son amour pour Karamazov.
Une volonté : faire la promotion et la critique du spectacle vivant à Lyon. Pour cela nous recevons les troupes afin qu’elles nous parlent de leur travail et vous donnent envie d’aller les voir, puis nous assistons à une représentation et en faisons la critique, dans la bonne humeur, en toute sincérité et sans concession. Un objectif : vous rappeler d’aller au théâtre, à l’opéra ou au ballet, bref de vivre en spectateurs !
Juste un mot sur le Cid, que j’ai beaucoup aimé et reçu tout à fait différemment : j’ai trouvé que la mise en scène réussissait absolument à rendre présent une histoire pourtant archi-connue et qui aurait pu demeurer loin de nous (par l’archaïsme de la tragédie, des valeurs morales, sociales, religieuses du XVIIe siècle). C’était un bonheur de se laisser (pour une fois dans le théâtre « contemporain ») bercer par une fable (j’adore les costumes d’époque ! pourquoi toujours vouloir instrumentaliser les classiques pour les actualiser, leur faire dire quelque chose qu’ils ne veulent pas dire, les tirer jusqu’à la modernité, les dénaturer ?), avec ses rebondissements et ses psychologies auxquelles on s’attache et qui font rire.
Je suis d’accord : il y a de l’humour dans le texte de Corneille, c’est rare (et peut-être risqué) de le faire entendre de cette manière et avec cette justesse. Pour moi la désacralisation du roi ne devait pas entraîner de fait la désacralisation des héros et du caractère épique de la pièce. Je pense qu’elle était à prendre en elle-même : un roi impotent, faible, dépendant, et qui pourtant conserve son autorité – ce qui rend encore davantage sensible le pouvoir symbolique qui entourait la personne royale ! Il demeure roi alors que tous le dépassent physiquement voire intellectuellement. J’ai aussi beaucoup aimé le traitement de l’Infante, très originale : alors que la tentation est d’en faire un personnage secondaire, toute entière drapée d’une vertu sans faille mais ennuyeuse, il devient soudain absolument « épaissi », intéressant, car capricieux, et se débattant non avec sa vertu mais avec un égoime et une jalousie qui la dévorent… Son entrée est si belle ! Il n’est pas question simplement de « d’habiller » le personnage de manière arbitraire, ce qui serait ridicule… L’habit signifie quelque chose : c’est montrer justement qu’il est difficile pour une reine de ne jamais pouvoir se dissimuler, faire fi de son sang et aimer qui elle veut. Tenter de disparaître sous sa robe, c’est aussi tenter de disparaître à ses propres yeux, et de calmer cet égo péremptoire qui ne parvient jamais à se taire…
J’ai trouvé les acteurs globalement excellents : l’infante, les deux confidentes (dont vous ne parlez pas), le valet, le roi, les deux pères. (C’est « surjoué », parfois, mais le sur jeu permet d’investir à l’extrême la convention théâtrale et de l’assumer, la revendiquer jusqu’au bout – quand on joue le Cid, on joue presque l’archétype du théâtre, alors oui, on projette la voix, on considère le 4e mur, on se bat à l’épée et on va mourir dans les coulisses.) Si vous trouvez Rodrigue un peu « en-dessous », c’est peut-être que c’est à cet endroit que réside la vraie subversion de la mise en scène : elle a réussi à rendre le héros un peu plus humain, un peu plus « à notre échelle ». Enfin, on cesse de prendre pour acquis le fait que Rodrigue soit forcément le chevalier servant et mythique qui ne « dilemme » que par convention et qui massacre les mors parce qu’il est très fort. Là, il semble les combattre presque par hasard, surpris lui-même de son succès ; il réussit par la force du désespoir : ça le rend plus présent de nous. Idem pour Chimène : elle est presque éclipsée par l’infante, c’est vrai, et pourtant c’est elle l’amoureuse – l’héroïne est le personnage un peu plus fragile, moins péremptoire, moins assumée. Si ce n’est à la toute fin de la pièce, où je l’ai trouvée rayonnante : je ne trouve justement pas que la fin soit si « heureuse » – et, là encore, la finesse de la mise en scène nous y rend sensible, par cette si belle image de Chimène, la main dans celle de Rodrigue et le corps pourtant penché douloureusement du côté inverse. Si le mariage va avoir lieu, la blessure (vraisemblable !) n’est pas refermée. On sent, pour une fois, que cette union ne sera pas si apaisée. Quant au cri final, que vous trouvez si grotesque, je l’ai trouvé très juste, et en lien avec ce happy end relativisé : cela permet de se souvenir que l’histoire n’est pas qu’amour tendre et mièvre, qu’elle soulève des enjeux fondamentaux (qui expliquent aussi le scandale qu’a suscité la pièce à sa première production) : les pères qui se battent ne sont pas que chevaliers nobles et policés, mais ils sont aussi animés par une force animale, primitive (par l’apât du pouvoir puis le désir de vengeance); Et le combat intérieur que livrent les deux amants n’est pas qu’égotisme de nobles qui n’ont rien d’autres à faire que de déblatérer de l’amour et du devoir (ce qui nous paraît un peu vain) : c’est une vraie remise en question d’un ordre établi, d’une structure sociale qui déterminait encore le XVIIe siècle (la hiérarchisation de la société, le roi, le devoir social et moral, …). A l’époque (et n’est-ce pas encore « actuel », pour le coup ?), le dilemme cornélien devait réellement déchirer de l’intérieur, et faire crier de douleur.
Enfin, j’ai trouvé la musique magnifique, admirablement bien chanté par les acteurs (sachant que le jeu et le chant sont des talents qui ne s’incluent absolument pas de manière systématique, chapeau !) : elle faisait retour sur le contexte premier de la pièce (l’Espagne, on s’en souvient). Surtout, elle se nouait au texte pour dire autrement (de manière plus sensible, et donc encore une fois plus proche de nous) la joie ou la gravité des situations présentées. C’était beau.
Seul bémol : le moment où Chimène a les mains pleine de sang de son père est vraiment too much. Là, on n’y croit plus, on sort de l’histoire, ça fait rigoler – mais ce n’était pas voulu… Et, si les comédiennes sont très jolies, c’est un peu fatigant que ce lieu commun ne soit absolument jamais remis en question : des mythologies sont détruites, mais pas celle là – les femmes ont la chevelure longue fougueuse, la taille bien fine et la poitrine conséquente, systématiquement mise en valeur.
C’était finalement plus long que prévu, mais au plaisir d’en parler prochainement avec vous tous ou autour d’un autre spectacle ! 🙂 à bientôt !