Errance dans la fête des Lumière, ballade aux confins des contes, prises de sons, musique...
Une émission produite par Coline Lafontaine, Marie Dougnac et Martin.
Une émission de Martin, Coline Lafontaine et Marie Dougnac.
Conte :
J’ai découvert la machine à écrire dans le grenier de mes grands-parents.
Enfouie sous une épaisse couche de poussière, entre des livres qui tombaient en lambeaux, des anciens magnétoscopes et des photographies aux coins jaunis et aux couleurs ternies par le temps.
J’ai d’abord pensé la jeter aux clous, ou la revendre pour me faire quelques deniers. Puis par curiosité, voyant qu’elle avait l’air en état de marche, je l’ai époussetée, sortie du grenier, et j’ai commencé à l’utiliser, assis devant la fenêtre ouverte par ce matin de juin.
J’ai fébrilement placé une feuille de papier dans la fente et, fasciné soudain par la forme du nuage qui paissait en répandant sa ouate dans un ciel au bleu délavé, léger et dodu à la fois, évanescent mais imposant, je décidai d’écrire un mot : « nuage ».
SON MACHINE À ÉCRIRE
Les touches ont crissé, les cinq lettres se sont affichées à l’encre noire sur la feuille immaculée. J’ai attendu un peu et c’est alors que j’ai cru à une illusion. Les touches soudain se sont mises en marche toutes seules, et des mots se sont inscrits sur ma feuille.
Des mots des hommes d’hier et d’aujourd’hui, d’ici et d’ailleurs, des mots qui tous tentaient de toucher du doigt le mystère du nuage, ce mot inscrit en haut du fin papier blanc. Le grenier abritait une machine à écrire magique.
Extrait du journal intime de Pierre L., août 2018
Pensée sur le nuage.
Certains sont persuadés que le monde se réduit à des formules mathématiques et à une réalité toute scientifique.
Ils pensent pas qu’il y ait ici-bas des signes d’une réalité ineffable qui dépasse le dicible et transcende le tangible. Ni que la rêverie, cette échappée de l’esprit vers un ailleurs que ne circonscrit ni chiffres ni frontières, soit nécessaire.
Le nuage, élément scientifique dont la formation s’explique par les lois de la physique mais pourtant propice à la rêverie, est la preuve que ces deux réalités ne sont pas incompatibles. Que science et rêve, logique et mystère peuvent se côtoyer.
Le nuage est nuée et nul âge n’agite le souhait de rêver devant ses découpages volages ses mirages et éphémères visages.
Le nuage est constitué de fines gouttelettes d’eau et (de bouts) d’au-delà.
Il est en suspension dans l’atmosphère et nous emmène dans la sphère de l’éphémère.
Virgile, 50 avant J-C : les nuages sont les « masques des dieux ». Il y a les nuages suspendus au milieu du ciel, les nuages immobiles qui précèdent parfois la fuite précipitée des nuées au firmament.
Fragments d’écrits du 12ème siècle : la nue est le voile de Dieu, manifestation du sacré, et l’éclair brièvement dévoile le paradis promis aux hommes bons et saints.
Extrait des Carnets de Léonard de Vinci
Le monde est instable et fluide. Sans cesse la victoire du cosmos sur le chaos peut être remise en doute. Tout est rythme et mouvement. Les formations nuageuses m’ont toujours intriguées. Frontière du visible et de l’invisible, défi pour le peintre.
L’œuvre de la nature est bien plus difficile à comprendre que le livre d’un poète, et la nature est remplie d’une infinité de raisons dont l’expérience n’a jamais vu la trace.
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Je regarde les nuages en savant, passionné par les mouvements incessants de ces formations évanescentes. « Une fois, au-dessus de Milan, (…) je vis un nuage en forme de haute montagne tout en feu, parce que les rayons du soleil couchant, rouge sur l’horizon, l’avaient teint de leur couleur. […] Il fut cause que l’air enclos en lui étant comprimé par sa condensation le creva et s’évada par la partie la plus faible, s’élançant à travers l’air avec un tumulte incessant, à la manière d’une éponge que presse la main sous l’eau ».
La composition même du nuage, cette matrice qui génère les vents, la foudre et l’arc-en-ciel, cette eau faite aérienne, me fascine et m’invite à la rêverie. Comprendre « comment les nuages se forment et comment ils se résolvent, quelle cause élève la vapeur aqueuse de la terre dans l’air », voilà mon but. La rigueur vient toujours à bout de l’obstacle. J’y parviendrai.
Mais le savant en moi se double du peintre. Je préfère peindre le sfumato, peindre l’effet des nuages plutôt que les représenter pour eux-mêmes. Et c’est justement de sa confusion que le nuage tire sa vertu onirique, qu’il devient signe de l’invisible, il dépasse la perception des géomètres et échappe à la technique pour s’attacher à notre perception de la nature plus qu’aux formes géométriques. « Ne dessine pas avec des contours définis les éléments de ta peinture. […] N’as-tu jamais regardé les poètes qui composent leurs vers ? ». Toujours je veux chercher, créer et suggérer. « Le fer de rouille, faute de servir, l’eau stagnante perd sa pureté. De même, l’inaction sape la vigueur de l’esprit”.
Car le nuage est aussi source de création et possède une vertu onirique. « Si tu regardes des murs barbouillés de taches (…) et qu’il te faille imaginer quelque scène, tu y verras des paysages variés, des montagnes, fleuves, rochers (…). Tu y découvriras aussi des combats et figures d’un mouvement rapide, d’étranges airs de visages, (…) et une infinité de choses que tu pourras ramener à des formes distinctes et bien conçues ».
Extrait des Annuaires météorologiques de Lamarck.
« Des nuages irréguliers, petits en général, rarement isolés ou solitaires, terminés en leurs bords, mais singulièrement lobés, déchiquetés, tortueux ou en zigzag, et qui offrent des formes bizarres, soit d’animaux divers, soit de petits diables. Les nuages sont diablotins, coureurs, demi-terminés, en balayures, en lambeaux. ».
Extrait de la conférence sur les modifications des nuages de Luke Howard. Londres, 1802
Il y a d’abord le stratus, attiré par la force tellurique, puis le cumulus au mouvement ascendant et enfin le cirrus qui poursuit cette « noble ascension vers le haut » puis se transforme en nimbus porteur d’orages.
Goethe, Poème en l’honneur de Luke Howard, 1820
Porté par les ailes de la gratitude, je chante donc
L’homme qui sut distinguer les nuages.
L’insaisissable, l’inaccessible,
Il le saisit, lui le premier, et le retient d’une main ferme ;
Il définit l’indéfinissable, le délimite,
En voyant les nuages s’élever, s’amonceler, se disperser, tomber,
Que le monde se souvienne de toi avec gratitude.
Extraits du journal de Charles Baudelaire
Les nuages partagent avec l’absolu plusieurs qualités : ils sont fugitifs et demeurent inatteignables.
À la fois ténèbres et paradis, terreur et beauté, spleen et idéal.
Suaire des nuages ou merveilleux nuages ?
« À la fin tous ces nuages aux formes fantastiques et lumineuses, ces ténèbres chaotiques, ces immensités vertes et roses, (…) ces fournaises béantes, ces firmaments de satin noir ou violet, fripé, roulé, ou déchiré, ces horizons en deuil ou ruisselants de métal fondu, toutes ces profondeurs, toutes ces splendeurs, me montèrent au cerveau comme une boisson capiteuse ou comme l’éloquence de l’opium ».
Journal du peintre Constable, 1816
Il serait difficile de citer un type de paysage où le ciel ne serait pas la note dominante, la mesure de l’espace et le véhicule principal du sentiment. L’art de voir la nature est une chose qui doit s’apprendre : les études sur les nuages que je réalise avec passion m’enthousiasment toujours. Peindre pour moi, est la même chose que sentir, mais on ne voit vraiment quelque chose que si on le comprend.
Texte de Hans Magnus Enzensberger
Blancs et solitaires, majestueux,
ils apparaissent soudain sur la soie de l’azur,
ou se serrent les uns contre les autres
tels des animaux transis, masse hébétée (…)
Leurs pérégrinations en altitude
sont calmes et incessantes.
Rien ne les rend soucieux.
Ils croient probablement
en la résurrection, béatement
heureux, comme moi qui,
allongé sur le dos,
les regarde un moment.
Sylvain Tesson, écrits de voyage
Nuage : pâtisserie du ciel située entre le moelleux et le fondant.
C’est ainsi que la machine à écrire m’a dévoilé la fascination des hommes pour le nuage. C’est ainsi que j’ai découvert que le monde est un héritage commun que nous partageons tous, héritage que chacun envisage ce présent de manière différente et c’est ainsi que s’est enrichie ma vision du réel. J’aurais toujours la tête dans les nuages, mais elle sera mieux faite.
– Les pensées de Léonard –
Merci aux participants, participantes et artistes des différentes écoles participantes. Merci à Lolita Del Pino, Pauline Prevost et Guillaume Chapuis pour la composition des musiques.
Merci également à Tom Huet, Christine Richier Julie Lola Lanteri et Frédérik Borrotzu ainsi qu’à Camille Michel pour la coordination du projet.
Merci enfin à la Fondation Bullukian d’avoir accueilli les artistes et leurs œuvres. À l’Université de Lyon pour sa production et son soutien financier.
Sources
https://books.openedition.org/pur/38581?lang=fr / https://books.openedition.org/pur/38558 / https://journals.openedition.org/gc/2713
Tourne, tourne, cette machine fait s’envoler la tristesse et avec elle ses larmes trop lourdes.
Des caisses pour rêver, explorer d’autres univers que la plaine grise que contemple en pleurant le vieux Cap’tain, accoudé à son phare…
Des ombres sur le mur, des mécanismes fluides et une tornade dans un bocal : voici le septième portrait invisible des Lumières.
La fête des lumières se voit, se regarde, s’admire. Et si nous écoutions les installations lumineuses ? Nos errances dans le jardin Bullukian, nous transportent vers un nouveau rêve de la fêtes des lumières. Des souvenirs contés, des oeuvres lumineuses pour une fois racontées.
Chaque oeuvre, chaque attraction est ainsi dotée de son portrait sonore ou ne manque que l’image. Écoutez pour une fois ce que vous aviez l’habitude de voir. Quels sons produisent ces œuvres visuelles, quels sont les sons de leur fabrication, de leur montage ? Quels sons déclenchent-ils dans l’imaginaire du public, de leurs concepteurs, de leurs monteurs ? Quels sont font-elle pour vous ?
Quelles histoires vous racontent-elles ?